L’intimité

L’inventeur d’une famille recomposée

« Je t’embrasse aujourd’hui encore plus tendrement que d’habitude. Hier soir à onze heure est venue au monde une grosse petite fille  (…) La mère et l’enfant se reposent. J’espère que la venue au monde de ce petit être nous apportera à toi et à moi un peu de bonheur et continuera à fortifier la tendresse qui nous unit si étroitement. Il me semble que nous avons un devoir commun dont l’exécution peut nous réunir ; c’est ainsi que tu dois comprendre cette naissance. Surtout ne rien y voir qui ne te sois favorable. Tu sais combien je t’aime ».

Dans cette lettre datée de 1913, Paul Signac annonce à son épouse Berthe la naissance de la fille qu’il vient d’avoir avec sa nouvelle compagne, Jeanne. Depuis plusieurs mois, au fil de sa correspondance quotidienne, il prépare sa première femme à la venue de cet enfant illégitime. « Celui qui va venir tu l’aimeras, j’en suis sûr, comme étant de moi ».

Au cours de leurs 28 heureuses années de mariage, le couple Signac a désespérément attendu l’arrivée d’un bébé. Pour le peintre, la petite Ginette va donc pouvoir combler ce grand vide dans la vie de Berthe.

« Je compte beaucoup sur la naissance de ce petit être pour nous créer à toi et à moi de plus en plus de bonheur. Peut-être trouveras-tu en lui le remède que nous cherchons à nos maux ».

Paul Signac

Si elle grandi auprès de Jeanne, sa mère naturelle, Ginette est devenue très proche de Berthe, qui deviendra même sa mère adoptive grâce la force de persuasion de Paul. Depuis ses premiers mois, Signac s’est en effet assuré que l’enfant la verrait régulièrement à l’occasion de déjeuners mais surtout de longs séjours dans sa maison tropézienne. Le reste du temps, Ginette sillonne la France avec ses parents : «  vêtus de loden verts et leur matériel d’aquarelle, qu’ils emportaient tous les deux. Ils partaient tous les deux au motif ».

Jeanne est peintre elle aussi, issue d’une famille d’artistes, les Toudouze. Elle a rencontré Paul alors qu’elle était mariée à l’architecte Pierre Selmersheim. Le couple vit dans le même immeuble que les Signac, le très moderne Castel Béranger à Auteuil, fleuron de l’Art nouveau où s’installent de nombreux artistes de l’avant-garde. Les Signac et les Selmersheim se voient régulièrement et passent leurs vacances ensemble avec les 3 enfants de Pierre et Jeanne. En 1909, Paul et Jeanne quittent leurs foyers respectifs pour vivre ensemble. « Je ne ne sais plus que faire moi qui n’ai qu’un but : faire souffrir le moins possible autour de moi », écrit Signac dans l’une de ses missives.

 

Paul restera toute sa vie partagé entre ces deux femmes.

S’il vit avec Jeanne, il prend soin d’écrire chaque jour à sa première épouse (9.000 lettres en 23 ans) et ne divorcera jamais . Il la retrouve aussi dès qu’il peut. Berthe sera aux côtés de Signac lorsque celui-ci s’éteindra. Jeanne aussi, de l’autre côté du lit. Mais plutôt que de les regarder, Signac préfère fixer sa fille jusqu’à son dernier souffle : « il ne regarde plus que cette petite », dira alors Berthe.

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